09/04/2013 Quand « ceux d’en haut » promettent de s’attaquer au plafond de verre
C’est un homme qui l’écrit : « Ca manque de femmes » ! A la page 161 de son livre d’entretiens très personnels, et souvent surprenants, avec de grands patrons français comme Jean-Louis Beffa, Franck Riboud, ou Paul Hermelin sur l’exercice du pouvoir, Hervé Hamon plante le décor en appelant un chat, un chat. Dans son ouvrage paru le 8 avril, Ceux d’en haut – Une saison chez les décideurs, aux éditions du Seuil, l’ex-comparse de Patrick Rotman (co-auteur de la célèbre saga soixante-huitarde Générations) s’est plongé dans l’univers mal connu du pouvoir économique. Et il y a découvert avec stupeur la persistance du plafond de verre, auquel il consacre tout un chapitre, alimenté par des entretiens avec des dirigeantes souvent décrites comme des femmes de pouvoir, telles que Colette Lewiner, Anne Méaux ou Nicole Notat.
Qu’un homme, écrivain de renom, se penche ainsi sur ce phénomène, même si c’est à l’échelle d’un seul chapitre, est en soi une très bonne nouvelle. Il se trouve aussi que c’est dans l’air du temps. Comme par coïncidence – mais bien sûr, ce n’est est par tout à fait une – une conférence intitulée « Le plafond de verre » se tenait ce mardi 9 avril au Palais Brongniart, à l’instigation de la ministre des Droits des femmes, en partenariat avec trois grands réseaux, Inter’Elles, Financi’Elles et Grandes Ecoles au Féminin. Objectif : débattre de l’accès des femmes aux postes de responsabilité, et signer, à l’issue d’une demi-journée de discussions plutôt denses, une convention pour l’égalité professionnelle femmes-hommes avec le ministère. Par cet accord, seize grandes entreprises (Accenture, Areva, Carrefour, EADS, Microsoft, Veolia…) se sont ainsi engagées à féminiser leurs équipes de direction, et à apporter leur aide aux TPE et PME, pour qui cette démarche est beaucoup plus difficile. Et surtout pas très évidente, en ces temps de crise, quand l’opinion publique considère souvent qu’il est normal de privilégier l’emploi de l’homme plutôt que celui de la femme…
Stéphane Richard et Delphine Ernotte (France Télécom/Orange), François Pérol (BPCE), Jean-Pierre Jouyet (Caisse des Dépôts),Marie-Claire Capobianco(BNP Paribas), Marwan Lahoud (EADS), Antoine Frérot (Veolia), et bien d’autres encore, avaient répondu à l’invitation pressante de Najat Vallaud-Belkacem. « En France, nous avons un arsenal juridique, mais comment le rendre effectif ? », leur a d’emblée demandé la ministre, pour qui le plafond de verre « est un sujet clé ». Mais pour le briser, a-t-elle souligné, « il ne faut pas s’arrêter aux conseils d’administration », pour lesquels des quotas de femmes ont été instaurés par la loi Zimmermann en 2011. Ce sont donc les comités de direction et les comités exécutifs qu’elle a en ligne de mire. Faut-il rappeler que dans les grandes entreprises françaises, ces instances ne comportent pas plus de 8,45% de femmes – lorsqu’elles en ont?
Les solutions ? Une étude du cabinet Plein Sens pour le Centre d’analyse économique sur « les déterminants de l’avancement de carrière des cadres féminins » – en clair : ce qui marche vraiment pour promouvoir les femmes – incite les entreprises à lutter contre les stéréotypes, à développer la confiance des femmes en elles, et à inviter les hommes à participer à l’évolution des modes d’organisation du travail
(voir l’étude : http://www.strategie.gouv.fr/content/etude-plafond-de-verre).
Plus radicale, Delphine Ernotte, directrice exécutive d’Orange France (80 000 personnes), estime que les entreprises doivent tout simplement « fixer un objectif simple et public, puis mettre en place de la discrimination positive, c’est-à-dire des quotas dans les réseaux de management ». Une évidence, pour Mercedes Erra, fondatrice de l’agence de publicité BETC, toujours présente lorsqu’il s’agit de défendre « la cause » : « Dans notre Comex, il y a 47% de femmes, cela ne m’a pas pris très longtemps d’y arriver, a-t-elle martelé. Je l’ai fait parce que j’étais persuadée que grâce à la mixité, BETC serait la meilleure agence, et c’est bien le cas aujourd’hui ».
Mais la nouveauté du jour était certainement le « coming-out » féministe de quelques grands patrons venus en personne témoigner de leur bonne volonté, comme François Pérol (BPCE), pour qui « il faut changer la perception que les hommes ont de ce sujet, au niveau des managers et pas seulement des dirigeants ». Ou comme Jean-Pierre Jouyet, qui a souligné avec beaucoup de justesse : « A chaque fois qu’une femme demande une égalité de droit, on parle de revendication ». Une femme n’aurait pas mieux dit. Peut-être le signe d’un début de frémissement!
Anne-Marie Rocco