Le poids des normes dites masculines – Sylviane Giampino, Brigitte Grésy
Le poids des normes dites masculines sur la vie professionnelle et personnelle d’hommes du monde de l’entreprise – Rapport de Sylviane Giampino et Brigitte Grésy – Mai 2012 – Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises
Note de synthèse
Pour télécharger l’étude complète : http://www.orse.org
Cette étude a servi de base diagnostique à l’atelier « La mixité: pourquoi résister? »
présenté au colloque du 7 mars 2013
L’Institut Catalyst a identifié 4 normes masculines les plus répandues dans les cultures de l’Europe Occidentale et de l’Amérique du Nord :
• Eviter le féminin : cette règle impose aux hommes de ne jamais se conformer publiquement à une norme dite féminine (l’empathie, l’écoute, la recherche de consensus, l’émotivité, le doux) afin d’éviter le ridicule ou le rejet.
• Etre un gagnant : est qualifié de masculin tout comportement qui accroît la richesse, le prestige social ou le pouvoir. Est donc légitimé tout comportement de recherche d’une belle carrière, à de hauts niveaux de gouvernance, dans le monde économique ou politique.
• Ne jamais montrer une faille dans l’armure : se montrer dur de corps et d’esprit, à la fois en ne fuyant jamais la menace physique et en dissimulant les émotions telles que la crainte, la nervosité ou la tristesse.
• Faire partie du clan, être « one of the boys » : les hommes doivent gagner l’admiration et la camaraderie de leurs pairs, à la fois en montrant qu’ils préfèrent la compagnie des hommes, mais aussi en participant à des passe-temps ou activités dites masculines, comme boire de la bière, aller au golf, fréquenter des cercles masculins.
C’est sur ces normes que les auteurs s’appuient. Elles ont demandé aux hommes auditionnés (17) si ils reconnaissaient ces normes comme faisant partie de leurs pratiques ou de celles de leur entourage professionnel. Non, bien sur ils ne s’y reconnaissent pas, les hommes les plus jeunes considérant même qu’il s’agit de « marqueurs du passé ».
Mais, disent-ils :
• L’entreprise repose sur une culture qui refuse le conflit et demande de ne pas montrer ses émotions. Ces normes ne seraient pas attribuées au genre masculin, mais au pouvoir lui-même. Pour y accéder les femmes elles-mêmes s’y soumettraient.
• La compétition est consubstantielle à l’entreprise. Plus que de concurrence, il s’agirait d’accomplissement de soi dans le travail, valeur partagée aussi par les femmes, « d’injonction à l’excellence ». Ce n’est pas l’apanage des hommes, les femmes sont parfois considérées comme des « tueuses ».
• La logique du club d’hommes est rejetée comme faisant partie du passé. Mais ce marqueur est reconfiguré par un usage masculin quasi sacrificiel du temps. La logique du clan et de la cooptation se fonde maintenant sur l’exclusion par le temps : qui est là le soir… Cela joue le rôle de rite initiatique permettant l’entrée des hommes dans le clan des dirigeants. Les hommes opposent aussi que le « club des copines » fonctionne tout autant du côté des femmes. L’importance croissante des réseaux féminins est souvent soulignée.
• Alors qu’il n’y aurait plus d’injonction faite aux hommes de se montrer durs pour réussir, ce sont les femmes qui seraient aujourd’hui sommées de cacher leurs affects et leurs sentiments pour appartenir au club des puissants.
Des failles apparaissent dans les discours, manifestant la présence de normes masculines transformées et remises au goût du jour :
• Les hommes s’identifient plus à leur travail que les femmes, car ils ont la responsabilité financière dans le couple.
• Ils accordent une priorité sans réserve à l’investissement professionnel sans frein ni limite.
Il s’agit donc bien toujours d’être le gagnant. Le discours évolue, mais est-ce suffisant pour transformer les normes?
Les femmes au travail sont considérées comme des partenaires estimées. C’est surtout chez les dirigeants qu’on trouve une réelle bienveillance et même un engagement pour la promotion des femmes. Au nom d’un « leadership au féminin », pour ces dirigeants les femmes seraient porteuses d’espoir, chargées d’un rôle de compensation des blocages et limites perçus souvent douloureusement dans le monde du travail. Au risque de les enfermer à nouveau dans des stéréotypes…
Mais parallèlement, s’exprime chez les hommes un sentiment de suspicion à l’égard des femmes, en lien avec la dépossession d’un univers dont ils étaient les maîtres :
• Etre un homme n’est plus considéré comme un avantage. Cette menace que les hommes ressentent devant le travail des femmes, comme dans la sphère privée, peut être source de tension et même de violence.
• Ce sentiment d’injustice porte sur un usage inégal du temps. On leur demande une disponibilité plus grande qu’aux femmes, la paternité n’est pas prie en compte.
• Les femmes sont des concurrentes d’autant plus enviées qu’elles sont compétentes et très ciblées sur le résultat, obligeant les hommes à se battre davantage. Or, elles ne les laissent guère pénétrer dans la sphère privée. Ils perdent le statut de chefs et pères qu’ils avaient dans le passé.
• La politique des quotas est pour eux une discrimination négative à l’égard des hommes blancs. On leur demanderait de se sacrifier au nom de la promotion des femmes.
L’émergence d’une nouvelle parole d’hommes existe néanmoins. Ils demandent un meilleur équilibre de vie et une meilleure reconnaissance par les femmes des évolutions en cours.
• Ils veulent un équilibre des temps que l’entreprise ne leur fournit pas suffisamment. Ils mettent en cause les stéréotypes féminins qui entravent les évolutions. Les femmes s’autocensurent face au salaire, à la prise de pouvoir et incriminent les hommes pour ces difficultés.
• Les marqueurs masculins évoluent vers des marqueurs de gouvernance moderne. La présence constitue un accélérateur de changement. Il faudra parvenir à de nouvelles valeurs (intérêt collectif plus qu’affirmation de le puissance individuelle) et à un nouvel équilibre des sphères publiques et privées.
Les hommes, parmi les plus jeunes, sont en train d’expérimenter de nouveaux réglages. Les entreprises gagneraient à anticiper. Le sentiment de maîtrise des clefs de l’avenir professionnel s’amenuise. Une recherche de sécurité et de sens se transfère des investissements dans le travail vers la vie personnelle.
L’une des butées de la parité hommes-femmes dans le travail porte aussi sur l’inégalité pères-mères dans la famille. Toutefois une dissymétrie persiste dans les préoccupations face aux enfants et dans les sources de culpabilité qui restent majoritairement associées pour les hommes au travail.
L’enjeu est que les entreprises et les politiques publiques organisent concrètement l’égalité entre les hommes et les femmes dans le travail. Il convient pour cela de favoriser un réel exercice de la parentalité quotidienne des pères et des mères. Un homme livre la clef : « On n’a pas de problème avec la parité, si tout le monde joue le jeu avec les mêmes règles. Mais il faut que ce soit aussi les mêmes règles pour la parentalité. »