De la séduction
La longueur d’une jupe, un décolleté, une coiffure, un maquillage prononcé peuvent avoir des conséquences sérieuses. Où est le danger ? Dans la séduction !
Pas de bras nus!
Je parle d’une histoire pas si lointaine qui excluait les femmes de l’université… Dans un numéro de la revue Travail, Genre et Sociétés ( 4- 2000, édité par L’Harmattan, Dossier Histoires de Pionnières) Delphine Gardey, historienne, évoque les difficultés rencontrées par les femmes à la fin du siècle dernier. Pouvaient-elles assister aux séances du soir de la Bibliothèque Sainte-Geneviève ? « La présence des femmes n’est-elle pas, en effet, toujours source de compromission, de dérèglement, voire de déchéance ? (…) les femmes apportent ce qu’elles sont pour une époque dans les lieux qu’elles occupent : ici en cette fin de siècle, elles apportent leurs humeurs, leurs corps éminemment sexués (…). Elles sont encore le beau sexe, c’est-à-dire la tentation, la perdition ».
Et Carole Christen-Lécuyer, dans le même opus, nous raconte qu’à la Sorbonne en 1893 « des arrangements sont alors faits afin que la cohabitation des deux sexes soit possible. Des places spéciales leur sont réservées dans l’hémicycle où elles sont isolées et regroupées ». (…) « objet de désir » et de curiosité pour les étudiants, les femmes doivent inventer de nouvelles figures de féminité pour s’imposer dans cet espace masculin : « Pour la toilette (des étudiantes), simplicité de bon aloi, mais, il me semble pas de bras nus qui peuvent, qui doivent donner des distractions aux voisins, et, qui sait peut-être même au professeur » (ces conseils émanent du Figaro du 28 février 1926 sous la plume d’Achille Mestre). (…) D’emblée est posée l’antinomie entre le « cerveau » et la « féminité », et l’ « étudiante » et la « femme ». »
Eviter la blonditude
Pendant longtemps dans les entreprises, les seules femmes à côtoyer le pouvoir furent les secrétaires. Rôle éminemment féminin. Les femmes qui tentèrent ensuite de percer le plafond de verre, durent à tout prix s’en différencier. Dans le vêtement aussi. On comprend mieux la stratégie de neutralisation adoptée par bien des femmes. Démarrer dans la vie professionnelle implique de se fondre dans son environnement. Or il est masculin ! A nous le costume pantalon gris ou bleu foncé. Evitons tout ce qui est « trop », maquillage, parfum, couleurs, bijoux, qui signeraient notre « blonditude ».
Certaines, en effet, vont jusqu’à dire qu’être blonde entraînerait une discrimination négative lors d’un recrutement. Plus que la couleur réelle du cheveu, je pense qu’il importe de ne pas « avoir l’air d’une blonde ». Depuis Freud, on sait les rapports entre l’inconscient et le mot d’esprit. Le mot d’esprit livre le fond de la pensée. On y retrouve ici l’antinomie du 19 e siècle entre cerveau et féminité ! Dans les années 60, il n’y avait pas d’histoires sur les blondes, mais on disait couramment : « Sois belle et tais-toi !». On nous répétait qu’une femme intelligente fait peur aux hommes. Le temps n’était pas loin, dans lequel la mère de Françoise Dolto lui interdisait de faire des études, car elle en serait fatalement condamnée à la relégation du célibat.
Il fallut donc prouver que les femmes étaient des hommes comme les autres, munies d’un cerveau. On leur demande maintenant de prouver qu’elles « sont encore des femmes » ! Une émission d’Arte (14 janvier 2007) abordait la question des codes vestimentaires : « Le monde du travail est structuré, hiérarchisé, on veut savoir immédiatement à qui on a à faire. Le langage vestimentaire s’acquiert par imitation, puis rectification. Cet apprentissage est long et complexe, sanctionné socialement. Cependant le complet masculin a deux siècles. C’est un code qui a l’avantage de la stabilité. Mais les femmes en politique (comme dans l’entreprise) introduisent une nouvelle donne. Elles remettent en question ce code et sont donc confrontées à la difficulté d’être perçues comme « trop » : masculines ou féminines, Barbie ou mère ».
Séduction et rapport de pouvoir
Alors, que nous raconte Deborah Tannen à ce sujet ( in Talking from 9 to 5, édition Virago)? Dans un chapitre intitulé « Qu’est-ce que le sexe à avoir avec ça ? », elle nous explique la crainte des hommes face aux femmes par la perte de contrôle provoquée par la séduction. C’est-à-dire par le pouvoir sexuel que les femmes prennent alors sur eux. Or, nous l’avons vu dans « L’art de la conversation », les hommes, au sein d’un groupe et en particulier dans l’entreprise, se situent d’emblée dans une relation de pouvoir. C’est la norme qu’ils ont intégrée quand ils étaient enfants dans les groupes de jeux. Ceux qui parviennent au pouvoir sont généralement très conformes à la norme.
Le décolleté assignerait alors à l’homme la place de dominé. Quand une femme atteint un niveau de responsabilités, ce qui n’est pas encore très habituel, elle est perçue, nous dit Deborah Tannen, comme cherchant à prendre le pouvoir sur les hommes. Ainsi, ajoute-t-elle, si l’on dit souvent que le harcèlement sexuel n’a pas tant à voir avec le sexe qu’avec le pouvoir, le fait qu’il s’agisse de sexe n’est pas sans rapport. Et il peut être aussi le fait d’un subordonné ou de pairs. Une forme courante d’insubordination serait de fixer les seins d’une femme pendant qu’elle parle. Manière, consciente ou non, de lui dire : « Tu es une femme, et ce qui m’intéresse c’est ton sexe, pas ton cerveau, ni ton autorité ou les mots que tu prononces ». L’homme renverserait ainsi le rapport de pouvoir.
L. Dejouany, 2007