Marie-Pierre Bories
Marie-Pierre Bories, vigneronne catalane, qui comme les femmes de nos entreprises technologiques, travaille dans un domaine majoritairement masculin, est venue témoigner de son vécu de femme cheffe d’entreprise.
Pour faire vraiment connaissance avec Marie-Pierre, il faut goûter son vin. Elle vous en parle sans orgueil, mais telle une mère tellement fière des médailles et tableaux d’honneur reçus par ses enfants et vous fait partager sa passion et son exigence de qualité. Aussi, nous avons au préalable dégusté son vin et bénéficié de ses commentaires, au cours de notre déjeuner-networking traditionnel.
Alors qu’il y a quelques décennies nos grand-mères étaient peu amateures de vin, les femmes sont de plus en plus consommatrices et ont donc adopté ce code qui appartenait encore récemment au genre masculin.
Extraits de l’entretien avec Marie-Pierre Bories
– Racontez-nous comment, vous êtes devenue viticultrice ?
« En fait au début, je n’ai pas vraiment choisi ce métier, même si je viens d’un milieu viticole, parce que mon arrière-grand-père avait fondé une cave, mon grand-père était œnologue, mon père était Président d’un syndicat viticole… Je suis venue vers le vin sur le tard… et j’ai fait des études d’œnologue, avant de partir à l’étranger. Cela me paraissait important de faire une espèce ce compagnonnage… J’ai ensuite repris une partie de la propriété familiale… J’ai fait basculer le domaine, depuis une dizaine d’années en biologie… pour arriver sur des vins les plus purs et les plus digestes possibles, tout en amenant du plaisir, bien-sûr!
– Est-ce que vous avez eu l’impression que le chemin pour devenir viticultrice et cheffe de votre exploitation viticole a été difficile ? Plus difficile, parce que vous étiez une femme ?
Quand j’ai démarré, c’est sans trop d’argent. Mon Papa était Président des caves coopératives de tout le sud… Quand je lui ai dit que je voulais faire du vin, à ma manière, ça n’a pas été très bien perçu. Il ne m’a pas donné un Franc et j’ai démarré à zéro, avec même pas un SMIC… mais des convictions… J’avais la chance d’avoir travaillé avec des grands vignerons français, qui sont des amis et ils m’ont donné la fibre, en me disant « quoi qui se passe, ne dérive pas du chemin que tu as choisi ». Ce relais que nos aînés, ou les gens que l’on rencontre, peuvent nous passer est important pour moi.
J’ai commencé à travailler en Alsace, dans les caves de Ribauvillé, avec que des hommes justement… et là j’ai compris que ce n’était pas aussi simple que ça, même si j’ai été très bien accueillie ! Ensuite, je suis partie en Amérique du Sud, comme œnologue, pour Pernod-Ricard en 1986… Je dirigeais plusieurs caves et j’ai donc fait beaucoup de kilomètres. En 2 ans, je n’ai vu que 3 femmes conduire une voiture ! Les femmes restaient à la maison. Quand vous arrivez à dix-huit ans, face à des hommes, dont vous êtes le chef, ce n’est pas facile ! On apprend vite, surtout qu’il y avait de grosses équipes à gérer. C’était intéressant parce qu’on réalise que cela ne sert à rien d’aller au combat. Au début, j’ai voulu affronter, j’ai voulu tenir !… mais ce n’est pas comme ça, que l’on atteint son but… Il vaut mieux essayer de comprendre la problématique ou la peur de l’autre, pour essayer de l’appréhender, de le réconforter, pour aller de l’avant et faire une vraie synergie ensemble. »
Ensuite Marie-Pierre est partie installer un domaine viticole en Australie, sur une exploitation agricole de vaches laitières, avant de travailler chez un grand vigneron à Pouilly sur Loire.
– Comment votre place de cheffe du domaine viticole a été perçue et acceptée par le personnel du domaine ?
Elle a hérité du caractère fort et de la stature de son père, dirigeant d’entreprise et elle rentrait dans son entreprise. Travailler uniquement avec des hommes ne lui pose aucun problème. « Quand on part travailler le matin, on passe un moment ensemble avec l’équipe et on parle du travail à accomplir… Je travaille avec eux tous les jours, je fais les mêmes travaux qu’eux. C’est important pour comprendre la difficulté du travail viticole, qui est un travail physique. On ne peut pas demander un travail à quelqu’un, si on ne l’a pas fait soi-même.
De plus en plus, j’ai des employés espagnols et j’ai la chance d’avoir des marocains berbères. Ce sont des gens qui ont la noblesse du cœur et beaucoup de respect. Mais pour eux, avoir une femme qui les dirige, ça ne passe pas ! Alors, on fait les choses ensemble et je leurs pose toujours la question, si ce que l’on fait, « ça va ? » Et hop, j’ai trouvé une porte d’entrée»… sur un terrain où la fierté ce chacun est préservée. Pendant qu’elle est avec nous, elle est donc confiante : sur le domaine, tout le monde travaille !
Marie-Pierre exerce tous les métiers au sein du domaine, en plus de son rôle commercial.
– Marie-Pierre Bories, vous exportez 80% de votre production, dans 40 pays, dans le monde. Pourquoi avoir donné cette orientation au domaine ?
« Travailler à l’exportation, c’est autant de travail, que de travailler avec le caviste du coin.» Comme elle avait préalablement beaucoup voyagé, l’idée de travailler avec des grossistes, des distributeurs étrangers lui était naturelle. Mais elle ajoute qu’il ne faut pas se tromper dans ses choix et travailler avec des professionnels qui misent sur la qualité. «Contrairement à ce que l’on pense, les distributeurs à l’export sont beaucoup plus connaisseurs, que les gens, qui se disent professionnels, en France». En femme d’affaire avisée, elle nous explique qu’elle fait concourir ses vins pour se benchmarker et également pour mieux comprendre les goûts de la clientèle étrangère. Ainsi, elle a constaté, par exemple, que le Muscat blanc, que nous avons dégusté au repas s’exporte dans tous les pays.
Pour terminer, Marie-Pierre répond à la salle qui lui demande, entre autre, quelle est la qualité elle s’est découverte en exerçant son métier et qu’elle ne se soupçonnait pas. Elle répond : « Être artiste. Faire du vin, ça parait simple. Pour arriver à l’excellence, il faut être un peu fou, avoir un peu la tête dans les étoiles, même s’il faut rester aussi centré sur la rentabilité, pour pouvoir vivre.»
Héritière d’une lignée d’hommes
Marie-Pierre Bories est l’héritière respectueuse d’une lignée d’hommes- son arrière-grand-père, son grand-père, puis son père – qui ont été des figures éminentes de la viticulture catalane. Loin d’avoir été écrasée par cet héritage, elle l’a transcendé et a développé d’autres compétences, avec humilité et enthousiasme, en commençant par se former comme n’importe quelle élève, puis en « faisant ses classes » dans les pays viticoles du monde, et dans des caves françaises prestigieuses.
Ses mains démontrent qu’elle travaille sa terre et de ses vignes, mais elle élabore également ses vins en œnologue compétente, et voyage sur tous les continents pour les négocier à l’export. Elle est partout, dans ce monde d’hommes, où peu de femmes réussissent.
Ses vins figurent sur les plus grandes tables étoilées de France, accumulent les médailles et récompenses décernées par des spécialistes de l’œnologie et sont appréciés sur l’ensemble des cinq continents. Ainsi ses vins ont été distingués par Romain ILTIS, meilleur sommelier de France 2012, par le DECANTER World Wine Awards en 2012, plus haut concours mondial des vins. Son Maury Hors d’âge a reçu une excellente note du Wine Enthusiast de New York et figure à la carte du ‘‘El Celler Can Roca’’ de Gérone, élu meilleur restaurant du monde en 2012. Enfin en février dernier, elle obtenait la médaille d’argent au concours des meilleurs grenaches du monde. Elle défend ainsi l’image de qualité du terroir catalan, infatigable et intarissable ambassadrice du domaine de Blanes: http://www.domainedeblanes.com.
C’est donc une femme authentique, dans toute sa dimension humaine, avec ses expériences du management multiculturel, qu’Aline Aubertin (GE Healtcare) a interviewé pour nous.