Mon salaire, parce que je le vaux bien !
C’est un sujet encore tabou qu’a abordé le premier atelier de la journée. Il est l’aboutissement d’un travail entamé il y a plusieurs années, révélant que les femmes, contrairement aux hommes, répugnaient à demander des augmentations de salaire.
Il est vrai que nos entreprises se soucient des lois sur l’égalité salariale et surveillent de près les écarts de rémunération entre hommes et femmes. Cependant, en dépit de la législation, ces écarts subsistent et sont estimés, à position égale, autour de 20 à 25 %. Cela dit, au-delà des chiffres, ce sont les rapports des femmes à l’argent, très complexes, qui sont en jeu. À les écouter, l’argent résonne avec mérite, valeur, estime de soi, mais aussi avec honte, malaise, peur de l’avenir. »
C’était justement l’objectif du groupe de travail qui s’est réuni pendant un an sur le sujet : interpeller les femmes sur leurs attitudes, leur faire prendre conscience des stéréotypes dans lesquels elles se piègent elles-mêmes, puis leur présenter les moyens à leur disposition, ainsi que le mode d’emploi d’une négociation salariale réussie. Pour lever le tabou et, surtout, en comprendre les racines, l’atelier a donc fait le choix délibéré d’aborder le sujet sous deux angles : celui de l’expérience de vie d’abord car, « en touchant à l’émotion, on déclenche à la fois une bombe et l’envie d’agir », comme l’a relevé Laurence Thomazeau ; celui de la réalité de l’entreprise, ensuite.
François de Singly, sociologue
Un imaginaire social À l’échelle de la société, il faut bien convenir que l’histoire n’a pas toujours été du côté des femmes, comme l’a fort opportunément rappelé Laurence Dejouany, auteure de « Les femmes au piège de la négociation salariale – Ou comment demander de l’argent à son patron sans le fâcher.. ». « Les premières négociations syndicales les concernant ont été conduites après la Première Guerre mondiale par les hommes qui ont minoré leurs besoins sous couvert d’une fiction : une femme vit sous la protection financière de son mari, a-t-elle commenté. De là est née la notion de salaire féminin, synonyme de “salaire d’appoint”, qui a perduré pendant longtemps… » Un siècle plus tard, un autre constat s’impose : alors que les hommes revendiquent facilement rechercher le pouvoir et l’argent, un imaginaire social persiste, faisant toujours d’elles des femmes dévouées… et forcément désintéressées. « La richesse intérieure et l’égalité salariale ne s’opposent pourtant pas », a souligné la psychologue, avant de conseiller : « Avant d’aller négocier, posons-nous la question des valeurs que nous portons, de nos projets professionnels, de nos projets de vie. Car la réalisation de soi-même passe aussi par l’argent.»
Laurence Dejouany
Poursuivant sur un terrain plus pratique, l’atelier a présenté, via deux de ses porte-parole – François Roger (GE) et Marianne Poyer (EDF) –, une “boîte à outils” qu’il a précisément conçue pour aider les femmes à “oser négocier une augmentation de salaire”. Cette boîte à outils va s’enrichir au fil des mois et repose sur deux postulats de départ : “oser” initier la démarche et faire preuve de détermination. Car ce type de négociation n’aboutit jamais en une fois.
François de Singly, sociologue, auteur des deux ouvrages : Fortune et infortune de la femme mariée, ainsi que Séparée – Vivre l’expérience de la rupture, a apporté sa contribution au débat.
Ce sont les trois recommandations du groupe de travail pour que les femmes osent négocier une augmentation de salaire… qui n’est pas qu’une affaire d’hommes.
Retrouvez les fiches pratiques détaillées « Préparer sa négociation salariale » dans La boîte à outils
« Je surmonte ma gêne, j’accepte les tensions, je ne me laisse pas enfermer dans un registre “convivial”, je ne perds pas de vue l’objectif et les leviers de la négociation. » Manon Batiat et Isabella Bourillon (Air liquide)
« J’ose demander à mes collègues combien ils gagnent. J’ose prendre le temps de me renseigner. Je connais la politique de rémunération de l’entreprise et son calendrier. » François Roger (GE) et Marianne Poyer (EDF)
« C’est la crise ? Préparons sa sortie. Je suis déjà mieux payée qu’Untel ? Les collègues ne sont pas le seul angle d’analyse. La moyenne est à 3 % ? Mes performances sont supérieures. » Jessica Walker (Areva)
« Quand les femmes demandent de l’argent, elles sont vénales. Si elles ne le font pas, elles sont bêtes. »
« Je fais du commercial, je suis à l’aise avec l’argent. Mais, pour l’entreprise, je me bats becs et ongles, pas pour moi ! Je viens de changer de job et je me dis : si je demande trop, on ne va pas me prendre ! »
« Je me pose beaucoup de questions. Est-ce que c’est tabou ou non ? Est-ce que les autres femmes aussi ont envie d’être les égales des hommes sur ce sujet ? »
« J’aime l’argent, j’ai beaucoup de mal à le dire parce qu’on pense : “Elle est vénale.” C’est quoi être vénale ? Pourquoi y a-t-il ce stéréotype ? Quand je demande de l’argent à mon manager, j’essaie de ne pas rougir, mais il rougit encore plus que moi. »
« Je me suis demandée : pourquoi les femmes autour de moi ressemblent-elles à des hommes ? Il faudrait devenir schizophrène dans la négociation : comment quitter mon identité de femme pour devenir une professionnelle à ce moment-là ? »
Regardez la vidéo « Le fil de soi » avec François de Singly, sociologue et auteur de Fortune et infortune de la femme mariée, et de Séparée – Vivre l’expérience de la rupture. Il raconte ces échanges de capitaux, cachés derrière les sentiments amoureux, qui s’opèrent au sein d’un couple : Je te donne, tu me donnes, tu donnes aux enfants. Et qu’est-ce que tu perds ?