Procès du sexisme
Très gros succès le 25 janvier, en présence d’Isabelle Rome, ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, pour ce procès organisé par le collectif Ensemble contre le sexisme.
Cette année, c’est cette forme originale d’un procès, pleine d’un humour ravageur qui a été retenue pour célébrer cette 6ème journée de lutte contre le sexisme et qui a attiré en présentiel et en ligne plus de 1000 personnes. Il ne nous est pas possible de rendre compte de la richesse et du talent des échanges. Mais vous pouvez accéder au replay ici.
Sylvie Pierre Brossolette, Présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, a introduit la séance en annonçant la décision prise le matin même par le Président de la République de faire enfin de cette journée du 25 janvier une journée nationale de la lutte contre le sexisme. Car fait social, le sexisme est le terreau des violences patriarcales et des barrières érigées entre les femmes et l’achèvement tant de leur liberté que de leur émancipation. La parution le même jour du 2nd baromêtre du sexisme met en avant des chiffres inquiétants :
- le sexisme est présent dans toutes les couches de la société, tant chez les hommes que les femmes.
- il est particulièrement présent chez les hommes jeunes de 24 à 34 ans.
- 27% des femmes disent avoir subi un rapport sexuel non consenti.
Catherine Ladousse et Yseline Fourtic-Dutarde, co-présidentes du Collectif Ensemble contre le sexisme (composé d’une quarantaine d’associations, d’organisations et de réseaux professionnels, dont le Cercle InterElles, il n’a de cesse de dénoncer et de rendre visibles les manifestations du sexisme, partout où elles se trouvent) ont ouvert le procès en annonçant que le Collectif se portait partie civile. En l’absence du prévenu, il serait jugé par contumace.
Trois thématiques ont été débattues sous ce format inédit et avec des invité·es reconnu·es.
SEQUENCE 1 : Le sexisme tue-t-il le talent, la créativité et le désir ?
Juge : Brigitte Grésy (experte)
Procureure : Blandine Métayer (AAFA-Tunnel de la Comédienne de 50 ans)
Avocate : Aline César (ASTREA)
Avec les témoins :
-Anne-Laëtitia Béraud, Journaliste à 20 minutes, animatrice et réalisatrice du podcast Tout Sexplique
-Raphaëlle Doyon, Maîtresse de conférences à Paris VIII, spécialiste du théâtre
-Anne Buffet Actrice, membre de l’AAFA-Tunnel de la Comédienne de 50 ans
-Dr Kpote, Animateur de prévention, chroniqueur à Causette.
- A la télévision, 1 film sur 10 est réalisé par une femme.
- Les hommes dominent le cinéma.
- Après 50 ans les femmes deviennent invisibles. Elles n’ont obtenu que 7% des rôles dans les films en 2021 : « Sois belle et tais-toi » fait place alors à « sois vieille et cache-toi« .
- Le plein emploi pour les femmes dans le cinéma est entre 25 et 29 ans. C’est la triple peine: sexisme, âgisme, précarité, sous le règne de la beauté unique, mince, jeune et blanche.
- 3% de femmes sont cheffes d’orchestre, 98% de femmes scriptes dans le cinéma.
- Le sexisme tue le désir à l’égard des personnes. Les garçons sont enfermés dans l’injonction de la performance, les filles dans les normes.
- « N’est-ce pas plutôt les harpies féministes qui tuent le désir?« .
- « Vous dénoncez le problème, vous devenez le problème« .
- Les images de la pornographie influent sur la représentation de la sexualité pour les jeunes, mais aussi les attitudes peu respectueuses des adultes rarement sanctionnées.
- La prostitution existe dès 13 ans dans les toilettes des collèges. Les filles sont encore soumises à la domination des garçons.
- Censurer ou éduquer?
Verdict des juré.es et participant.es sur une mesure prioritaire à adopter
A 54% des votants: Rendre effectives les lois sur sur « l’égalité femme- hommes » et « lutte contre les violences sexistes » intégrant un contrôle et une évaluation des dispositifs mis en place, ainsi que le déploiement des moyens nécessaires.
SÉQUENCE 2 : Les hommes sont-ils engagés dans la lutte contre le sexisme ?
Juge : Yseline Fourtic-Dutarde (Assemblée des Femmes)
Procureure : Sophie Bourel (AAFA-Tunnel de la Comédienne de 50 ans)
Avocate : Gabriela Bélaïd (CentraleSupélec au Féminin)
Avec les témoins:
-Lucile Peytavin, Historienne, essayiste, autrice de Le coût de la virilité – Ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes
-Sophie Soubiran, Avocate, membre de la force juridique de la Fondation des Femmes
-Bolewa Sabourin, Danseur, chorégraphe, militant de la lutte contre les violences faites aux femmes, animateur du collectif des masculinités au sein de l’association LOBA.
- Les hommes ont-ils peur de perdre leurs privilèges?
- 96,3% des personnes incarcérées sont des hommes. La virilité coûte à l’état chaque année 95 milliards d’euros.
- Les hommes meurent plus jeunes que les femmes, du fait de leurs comportements à risques.
- N’est-ce pas cher payer de vouloir être un homme? Car ce ne sont ni le cerveau, ni la testostérone qui en sont responsables, mais l’éducation à la virilité.
- Ne pourrait-on pas éduquer les garçons comme les filles, sans en faire des femmes? Mais leur inculquer l’humanisme, l’empathie.
- Dans les cas de violences intrafamiliales les enfants ne sont pas témoins, mais victimes. Les juges ne le pensent pas et laissent leurs droits aux pères.
- Ces mécanismes ne se comprennent pas sans formation. Or bien des formations envoyées aux policiers restent au fond de leur boite mail.
- On continue d’ailleurs de parler « d’aliénation parentale » dans laquelle les mères instrumentaliseraient leurs enfants pour en retirer la garde au père. Les magistrates femmes qui représent 2/3 de cette population continuent encore de croire à ce concept. Et les femmes peuvent être condamnées pour déli de non présentation d’enfants, alors que la garde alternée dans le cas de violences est nocive.
- Pourquoi les femmes obtiennent-elles plus que les hommes le droit de garde? Parce que comme pour beaucoup de choses, on n’obtient pas ce que l’on ne demande pas!
- Les hommes ne sont pas génétiquement sexistes, affirme Bolewa Sabourin qui a créé des groupes de danse pour femmes victimes de violence. Pour qu’elles se réapproprient leur corps et reprennent confiance en elles.
- Effaré par tous les témoignages de ces femmes, il a créé des groupes de parole d’hommes pour s’interroger sur ces violences et ce qu’est la masculinité. Parler de ses vulnérabilités n’est pas de la faiblesse. Ces biais créent de la violence. Il faut retirer le mal du mâle!
- « Ne craignez-vous pas de tuer la séduction, cette danse de l’amour? ». « Venez à mes cours de danse! ». « Ce n’est pas moi qui condamne les hommes, c’est la virilité qui les condamne ». « Passez à l’action, messieurs! ».
Verdict des juré.es et participant.es sur une mesure prioritaire à adopter
A 59%: Mise en place de juridictions spécialisées sur les affaires pénales et civiles relatives aux violences commises sur des femmes au sein du couple, à l’instar de ce qui a été fait en Espagne.
SÉQUENCE 3 : Les institutions (fonction publique, monde politique, entreprises) peuvent-elles et veulent-elles lutter contre le sexisme ?
Juge : Catherine Ladousse (Cercle InterElles)
Procureure : Elisabeth Richard (réseau WIN)
Avocate : Jocelyne Adriant-Metboul (FMR)
Avec les témoins:
-Sophie Pochic, Directrice de recherche au CNRS, enseignante associée à l’EHESS et à l’ENS, autrice de Le plafond de verre et l’État
-Laurence Rossignol, Vice-présidente du Sénat, présidente de l’Assemblée des Femmes, ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes
-Hélène Deckx van Ruys, Directrice Diversité et inclusion, administratrice du Laboratoire de l’Égalité, co-pilote du groupe de travail sur les femmes et l’intelligence artificielle
-Marine Rabeyrin, Directrice du segment Éducation EMEA chez Lenovo, coordinatrice du groupe de travail « Femmes et IA » du Cercle InterElles.
- Même dans la fonction publique à laquelle on accède par concours et donc censée être égalitaire, on rencontre encore des écarts de rémunérations qui vont de 9% à 20% dans la fonction publique hospitalière.
- Les femmes sont concentrées dans les bas salaires et dans des métiers moins rémunérateurs. La technicité et la pénibilité des métiers relationnels sont moins valorisées.
- Si on démarre par concours, ensuite le réseau et la cooptation sont décisifs. La progression de carrière est plus rapide pour les hommes, les primes plus généreuses.
- Quels liens entre entreprises, IA et sexisme? Les entreprises sont utilisatrices et souvent productrices d’outils IA. Or l’IA engendre des inégalités entre femmes et hommes, car 88% des algorithmes sont produits par des hommes. Ils reprennent les biais de genre. Et comme c’est un système qui se reproduit, il en devient un amplificateur!
- « Mais doit-on encourager les filles à aller travailler dans ce monde de geeks en tee-shirts, mangeurs de hamburgers et à l’hygiène douteuse?« . « D’ailleurs 50% des femmes en partent au bout de 8 à 10 ans, lassées de cet environnement sexiste« .
- Il existe des solutions sur lesquelles les entreprises peuvent s’appuyer. Des associations ont créé des pactes pour l’égalité, Le Cercle Interelles a publié une boite à outils. On peut ainsi s’assurer de la conformité des outils dès leur conception et développer la mixité des équipes. Pour le moment, il n’y a que 12% de femmes.
- « Mais les entreprises travaillent pour dégager du profit, pas pour créer de l’égalité! ».
- « Un outil discriminant n’est pas performant, donc pas rentable!« .
- Et en politique, une femme peut-elle réussir? Si c’est au sens de durer, l’avantage est au masculin. Pour faire évoluer les idées, le monde, les femmes ont des compétences.
- « La pire violence que nous subissons, c’est le mépris. C’est une violence quotidienne symbolique ».
- Les élus ne devraient-ils pas être exemplaires? Il s’agirait plutôt de cohérence entre la pensée, l’action politique et les comportements de ces hommes.
Verdict des juré.es et participant.es sur une mesure prioritaire à adopter
A 52% : Pour lutter contre le sexisme en art, apprendre dès l’école à déconstruire les stéréotypes sur les corps et les talents, qui pèsent sur les femmes.
Isabelle Rome a conclu la journée en rappelant tout ce qui avait été fait ces dernières années pour aider les femmes victimes de violence, dont elle assure qu’en tant que magistrate elle a pu voir le sexisme dans ses effets les plus ravageurs, mortifères. Et elle a cité Oscar Wilde: « Il est nécessaire d’avoir des rêves suffisament grands pour ne pas les perdre du vue quand on les poursuit. »