Lu pour vous

Cher Emmanuel Todd

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Ou peut-être devrais-je dire « Pauvre Emmanuel Todd » après avoir lu votre dernier ouvrage : « Où en sont-elles – Une esquisse de l’histoire des femmes » et en voyant vos photos où vous paraissez toujours si chagrin?

Anthropologue et historien de renom, vous avez assis votre légitimité sur des travaux antérieurs qui font autorité.

Cette fois, vous vous attaquez à la question de l’émancipation des femmes, au féminisme, à la notion de genre aussi qui s’est répandue ces dernières années, autant de sujets qui représentent nous dites-vous « la descente aux enfers conceptuelle de l’anthropologie » ! Pas moins ! On comprend que vous soyez troublé. Le monde ne serait plus qu’antagonisme entre les hommes et les femmes. C’est tellement énorme pour la féministe modérée que je suis, que je mettrai vos propos entre guillemets et en italique, que nous soyons sûrs que ce n’est pas moi qui invente.

Ainsi affirmez-vous que « la destruction du patriarcat fut facile chez nous parce qu’il n’y avait jamais vraiment existé » et que « Les femmes sont, dans bon nombre de domaines, déjà au pouvoir ». Vous mettez néanmoins aimablement à notre crédit des effets positifs, tels « la chute de la violence physique et le reflux de la guerre, l’affaiblissement du racisme ». Sans doute, grâce à nos qualités féminines tant vantées, par ceux qui veulent nous garder enfermées à la maison ou dans les métiers du soin. Ce que nous appelons stéréotypes et normes (in Sciences économiques et sociales, classe de première, Hatier) :

  • Un stéréotype est une opinion partagée de façon quasi-unanime par un groupe social et faisant office de jugement définitif sur un type ou un groupe d’individus. Le stéréotype peut être rapproché du préjugé ou de l’opinion reçue.
  • Les normes sont les règles sociales qu’il faut respecter et qui définissent le comportement approprié ou attendu dans la vie sociale.

Vous savez tant de choses et en ignorez d’autres. Vous nous dites votre passion pour l’intelligence, votre désir de comprendre. Mais quel usage tragique de l’intelligence ! Ne faut-il pas parfois sentir ? Partir de l’expérience sensible pour arriver à la conceptualisation ? Dans quel monde vivez-vous ? Celui de votre bibliothèque ? En êtes-vous jamais sorti ? Avez-vous jamais aimé ? Avez-vous été aimé ? Avez-vous joué, parlé avec de jeunes enfants ?

 

Dans votre bureau à l’abri du monde réel

 

Pas de patriarcat

« Ce que nous vivons est l’accentuation d’un statut plutôt élevé des femmes et non le renversement d’un ordre « patriarcal » fantasmé. Je montrerai la facilité de l’émancipation, une fois réalisées les conditions technologiques de sûreté contraceptive et économiques d’abondance ». « L’absence d’un refus masculin sérieux et solide aura été un élément fondamental de l’évolution anthropologique ».

Vous avouez ne vous être jamais intéressé à la question du féminisme, qui vous apparaissait jusque-là comme un « non-problème ». Vous n’ignorez pas les précédentes vagues féministes :

  • les suffragettes,
  • les années 70 et la lutte pour la contraception et l’avortement,
  • mais tout cela pensez-vous baignait dans un climat aimable et souriant !

Sans doute avez-vous oublié les violences auxquelles se sont confrontées certaines suffragettes, luttant pour leur droit de vote.

Dans les années 70, où une femme pouvait craindre encore la prison pour un avortement avez-vous oublié comment Gisèle Halimi ou Simone Veil ont été conspuées, injuriées, menacées. Cela n’en a jamais fait pour autant des ennemis des hommes, qui pour certains les soutenaient et les accompagnaient.

Enfin, avant cette période plus heureuse pour les femmes, avez-vous entendu parler de celles qui devaient avoir recours aux « faiseuses d’anges » ? Avez-vous envisagé la douleur, la violence, parfois la mutilation ou la mort auxquelles elles s’exposaient ? Savez-vous que celles qui allaient alors chercher secours dans un hôpital s’exposaient parfois de la part du médecin, sans doute un homme, à un curetage à vif « pour leur apprendre » !

Non, les hommes ne se seraient jamais opposés au droit à la contraception et à l’avortement ! Pas plus dans les années 70 qu’aujourd’hui. Remis actuellement en question dans de plus en plus d’états américains et même dans des pays européens. Que faites-vous des mouvements « pro-life » présents aussi en France? Des assassinats de médecins pratiquant les avortements aux USA ? Des difficultés en France même à trouver des cliniques ou hôpitaux les pratiquant au nom de la « clause de conscience » des médecins. En France, des femmes sont à nouveau contraintes d’aller à l’étranger, dans des pays plus libéraux pour se faire avorter, pour des questions de délais et de disponibilité des médecins.

Les mariages forcés ? Les mutilations comme l’excision ? Pas entendu parler ? En France même, ces féministes, que vous honnissez, tentent d’en protéger des jeunes filles issues de l’immigration, des risques qu’elles courent lors des vacances dans le pays d’origine des parents et de l’aide que la France peut leur apporter.

 

« Le pourrissement de la liberté d’expression »

Dans cette ambiance aimable où fleurissait joyeusement cet esprit si français, nommé la gauloiserie, les femmes devaient faire preuve « d’humour » et se débattre discrètement face aux mains baladeuses. Oh, que nous sommes devenues pudiques et « politiquement correctes » en ne l’acceptant plus !

Pourtant, dans les écoles où l’on a mis en place des sensibilisations aux violences sexuelles, on s’aperçoit que tous les garçons n’approuvaient pas ces dérapages. Mais l’effet de groupe, le poids du leader, les fêtes avinées dans les « grandes » écoles ont mené à de terribles excès. Il suffit parfois qu’un garçon ose s’interposer en disant : « Ce n’est pas bien, c’est du harcèlement » pour que le groupe s’effrite et que les filles puissent être en sécurité. Il en est de même aussi dans les entreprises qui se donnent la peine de soulever le problème. Bien souvent, sur proposition des « féministes »

Les viols quant à eux, étaient rarement reconnus. C’est d’ailleurs encore souvent le cas, parole contre parole dit-on. Avez-vous senti cette première secousse avec l’affaire DSK ? Sans doute pas, vous ne le citez pas. Comment de la drague lourde, ainsi que nous l’expliquaient ses amis, nous étions passés au viol…

 

« Dynamitage de l’anthropologie »

 

Et voilà que dans votre univers tranquille et souriant, bien au chaud dans votre bibliothèque, où vos études vous permettaient de développer des certitudes, un ouragan vient tout bouleverser: Me Too, le mariage pour tous, les gilets jaunes, et même le Covid ! « Le féminisme a dynamisé l’histoire et dynamité l’anthropologie », dites-vous après cette énumération. 

 

Me Too :

Ne nous a-t-on pourtant pas suffisamment répété : « Ne devenez pas comme les Américaines ! Les hommes n’osent plus monter seul dans un ascenseur avec une femme. Ils doivent garder la porte de leur bureau ouverte quand ils reçoivent une femme. » La vague américaine Me Too s’étant étendue jusqu’à la France, pays de la courtoisie et de la séduction « à la française », on a découvert que même avec la porte de son bureau ouverte, une star vieillissante de la télé, pouvait culbuter une femme sur la table ! (Attention, affaire pas encore jugée, présomption d’innocence oblige !). Et cette vague s’étend de domaine professionnel en domaine professionnel. Aucun ne semble être à l’abri. Néanmoins,  nous ne considérons pas tous les hommes comme des harceleurs ou des violeurs. Nombre d’entre eux connaissent et reconnaissent cette notion subtile du consentement, mais se taisent parfois face au leader et à l’effet de groupe. La spirale peut être rompue. Des institutions, des intervenants s’y emploient. Des hommes s’engagent contre ces violences faites aux femmes.

 

Le Covid-19 :

On s’étonne : quel lien pouvez-vous faire entre féminisme et le Covid-19 ? Selon vous la désindustrialisation est le corolaire de l’émancipation des femmes. Les femmes travaillent dans le tertiaire, les hommes dans l’industrie. «Mesurer la chute de l’emploi industriel, c’est faire la chronique du déclin de métiers masculins ». Or, je vous cite : « L’Occident étroit, on le verra, a déjà payé un prix économique élevé pour l’émancipation des femmes. De ce point de vue, l’épidémie du Covid-19, dans sa première phase, aura été une sévère entrée en matière puisqu’elle a éprouvé l’Angleterre, les États-Unis, la Suède et la France beaucoup plus durement que l’Allemagne et le Japon, sans oublier la Chine. » CQFD. Et voilà les femmes émancipées responsables aussi de la pandémie…

Pouvez-vous ignorer qu’une corrélation n’est pas une relation de causalité ? Qu’importe, ce choc si violent qui vous a atteint a ébranlé toute certitude : « J’essaie de montrer dans le livre qu’il ne peut pas ne pas y avoir de rapport entre les deux ». Je vous cite encore, car on a du mal à le croire : « Mais un chercheur ne peut se contenter d’un monde social hétérogène où rien n’aurait de rapport avec rien. Pire, où l’on pourrait mettre d’un côté tout ce qui est positif et de l’autre tout ce qui est négatif, sans se poser jamais la question d’une interaction entre les deux sphères. Il y aurait d’un côté le féminisme, des femmes de pouvoir, la paix, le mariage homosexuel, l’écologie, l’abolition des « races » ; et de l’autre la montée de l’inégalité, la chute des salaires ouvriers, la désindustrialisation, la montée d’une tension féroce entre démocrates et républicains aux États-Unis, l’émergence d’un État hors contrôle en France ». Tout est de notre faute ! Mais où vivez-vous ? Ouvrez-vous parfois un journal ou cet instrument vulgaire que nous appelons la télé ?

  • Je vous rassure, les femmes aussi ont payé un prix à la pandémie. Celui d’être enfermées chez elles entre télétravail, tâches ménagères et enfants dont il fallait guider le travail scolaire.
  • L’Apec nous apprend que chez les cadres, les femmes ont lourdement pâti de la crise sanitaire. « Depuis plus de 10 ans, un écart de rémunération d’environ 15 % est observé entre hommes et femmes cadres, malgré les dispositifs mis en place pour y remédier. La réduction en 2019 (de 16 % à 13 %) est suivie d’un retour à 15 % en 2020 »indique l’Apec. En outre, « à profil et poste équivalents », les hommes cadres ont perçu « 8% de plus » que les femmes cadres en 2020, détaille l’Apec dans son Baromètre de rémunération des cadres.

« Les augmentations de salaire ont été plus rares en 2020 avec la crise : 38% des cadres ont été augmentés contre 48% en 2019, mais ces augmentations ont surtout profité aux hommes. La rémunération médiane des femmes cadres a été de 46.000 euros annuels en 2020, contre 53.000 euros pour les hommes. En 2019, cette rémunération médiane était identique pour les femmes mais elle n’était que de 52.000 pour les hommes. 40 % des hommes ont eu une augmentation en 2020, contre 35 % des femmes ».  « Alors que depuis 2017, l’écart se réduisait, avec respectivement : 49% des hommes et 46% des femmes en 2019, 51% des hommes et 49% des femmes en 2018, 51% des hommes et 48% des femmes en 2017 » note l’étude.”(in Les Nouvelles News).

 

Féminicide :

Cela ne nous suffisait pas ? « Sur les murs de Paris comme des villes de province ont fleuri des dénonciations de ce que l’on a appelé « féminicide ». Le paradoxe de ce regain de contestation des hommes, violent dans l’expression, évocateur d’un antagonisme structurel entre les deux sexes, est qu’il a commencé au moment même où le mouvement d’émancipation des femmes semblait sur le point d’atteindre ses objectifs ». Ce regain de contestation des hommes n’existait-il pas auparavant ? Oui, cela n’apparaissait auparavant que dans les pages des faits divers que vous ne vous abaissiez certainement pas à lire. On y parlait d’ailleurs de « drame passionnel ». Tellement plus romantique ! Une dénomination apte à gagner l’indulgence du jury des cours d’assises en faveur de l’assassin.

N’était-il qu’évocateur d’un antagonisme structurel entre les deux sexes, ou une survivance de cette croyance selon laquelle la femme appartient à l’homme et la passion ne s’exprime jamais mieux que dans la violence? Un « Fou d’amour » chantait avec tant de succès Johnny Halliday : « Je l’aimais trop, je l’ai tuée ». Comment ne pas pardonner à cet homme qui aime tant ? C’est pourquoi nous voulons mettre fin à cette illusion barbare, nommer cet acte, cet assassinat,  pour ce qu’il est, un féminicide, non un acte d’amour.

 

Le plafond de verre :

  • Ainsi désignons-nous cet obstacle invisible, mais bien réel et résistant, auquel les femmes se heurtent dans leur progression professionnelle. Les hommes, ayant fait leurs preuves depuis longtemps, il est plus rassurant de perpétuer l’entre-soi du club des hommes. Pourquoi venir troubler cet ordre avec de nouvelles venues qui ne possèdent pas bien tous nos codes, pensent-ils ?

Vous voulez pourtant bien en convenir : « il existe, notamment en France du côté des sciences et des grandes écoles, des pôles de résistance masculine importants. Mais nous sommes dans une situation où devrait dominer une réflexion amicale et réformiste, en aucun cas une perception des hommes comme des assassins ». Ce plafond de verre auquel nous tentons de nous attaquer, ne serait qu’une légère couche de gel que nous pourrions faire craquer d’un seul coup de haut talon à vous en croire. D’autant que ces hommes dominants ne seraient, de votre point de vue, que des « mâles potiches ». Avez-vous déjà circulé dans ces domaines où les hommes dominent : les institutions, l’entreprise, l’industrie, la politique ? Quant à ces « mâles potiches », nous irions jusqu’à les traiter « d’assassins » ? Quel raccourci entre le plafond de verre contre lequel nous luttons, et les féminicides que nous dénonçons aussi ! Est-ce là la rigueur scientifique qui devrait être la vôtre?

Dans un retournement magnifique vous faites des femmes solidaires des victimes de féminicides, des furies confondant homme et assassin. Soyez sûr que nous ne faisons pas cet amalgame. Nous travaillons en toute intelligence et bonne entente avec nombre d’hommes. Nous ne les diabolisions pas, non plus que nous n’idéalisons les femmes qui seraient venues à bout des guerres et du racisme… Si seulement…

 

Orage conceptuel :

Non, le choc est trop fort pour vous : « En 70 ans ont été renversées des conceptions vieilles de plus de 100 000 ans. (…) je ne pouvais plus alors faire de recherche, parce que des catégories trop mouvantes interdisent toute saisie de la réalité sociale et de son évolution ». Dans ce que vous qualifiez donc « d’orage conceptuel », vous vous raccrochez constamment aux « chasseurs-cueilleurs », le paléolithique, si je ne m’abuse, c’est-à-dire 300 000 ans en arrière.

Oui, vous avez entendu parler du néolithique (il n’y a que 12 000 ans), et même de l’anthropocène (apparu selon les auteurs à la fin du XIXe siècle avec la révolution industrielle ou seulement en 1945 avec la bombe atomique sur Hiroshima), censés avoir succédé au paléolithique, l’âge de pierre. Bien sûr, dans ce monde très large que vous parcourez dans vos livres, toutes les sociétés n’avancent pas au même rythme. Sans doute subsiste-t-il encore quelques tribus éloignées restées à l’âge de pierre. Mais votre attachement aux chasseurs cueilleurs, où les hommes chassent quand les femmes cueillent… (ce qui est d’ailleurs contesté actuellement, les femmes chassaient aussi) montre bien votre besoin de vous représenter en chasseur, sans doute muni d’une très grande lance, puisque vous allez jusqu’à nous préciser que vous êtes « un homme, né homme ».

 

Le genre, « descente aux enfers conceptuelle de l’anthropologie » :

Donnons d’abord quelques précisions  sur l’usage que nous faisons du mot genre, car vous semblez totalement perdu. « (…) l’anthropologie était à la fin des années 1970 un monde scientifique normal ». Puis, catastrophe : « L’anthropologie a été, depuis la seconde moitié des années 1980, dérangée par le genre. Tout à la fois concept et expérience, celui-ci a mis partout du désordre, semant le doute sur des données solides et sur les instruments de comparaison patiemment mis au point depuis la fin du XIXe siècle. »

« Nous serions toutefois alors confrontés à la dernière variation du thème transgenre, un troisième sexe capable de réunir les potentialités des deux autres ». Voilà donc le drame qui nous guette, si menaçant pour un chasseur « homme né homme », comme vous tenez à nous le préciser. Margaret Mead faisait d’ailleurs « l’hypothèse d’une anxiété masculine spécifique liée au caractère moins évident et direct de la contribution des hommes à la reproduction »,  idée que vous avait transmise votre mère alors que vous n’étiez qu’adolescent.

Explicitons ce que nous entendons par le mot « genre », que vous trouvez tellement laid, et qui ne vous semble qu’un cache-sexe que nous impose notre pudibonderie:

  • Le sexe est du côté du biologique, de l’anatomie.
  • Le genre est une appellation qui a été proposée pour distinguer ce qui n’est pas biologique, mais est dû aux apprentissages sociaux et culturels.

Comme vous avez la passion de comprendre, ne rechignez pas à lire et ne voulez surtout pas mourir idiot, nous dites-vous, je me permets de vous recommander quelque lecture sur la question du « genre », comment elle se construit dès les premiers mois de la vie, comment elle enferme les femmes dans des représentations stéréotypées et ses répercussions de la cour d’école au monde adulte. Reportez-vous à quelques-uns de nos travaux : https://www.interelles.com/cest-technique-est-ce-pour-elles/les-stereotypes-cest-pas-mon-genre.

Vous y apprendrez que dès le plus jeune âge, être une femme, comme nous l’avons vu au fil des années de nos travaux, c’est non seulement:

  • adopter certaines activités,
  • le placement de la voix,
  • des gestes rétrécis,
  • les déplacements du corps dans le sport et en particulier l’inhibition sur un usage agressif du corps.

En 1929, la psychanalyste  Joan Riviere  dans un article intitulé  « La féminité comme mascarade » racontait comment une femme à cette époque-là se devait de cacher des compétences dites masculines.

Et bien sachez que c’est un problème qui persiste :

  • Il a été étudié dans les choix d’études techniques par les filles.
  • Il participe toujours au choix des études et des métiers qui seraient pour certains masculins, pour d’autres féminins.
  • Nous le rencontrons ensuite en entreprise, quand il nous faut prouver que nous sommes « encore une femme » alors que nous avons percé dans le monde des hommes, en empruntant certains de leurs codes culturels. Sinon, comment se faire entendre ?
  • Nous avons vu aussi, par exemple sur la question de la négociation salariale, comment des représentations anciennes perduraient, qui induisent que les femmes demandent moins d’augmentation de salaire que les hommes, ce qui entretient les disparités. Ces représentations sont « la femme donne la vie, l’homme la gagne ». Donc le care aux femmes, le don gratuit, aux hommes la compétence de gagner de l’argent, d’en parler, de se battre pour obtenir le salaire convoité. Ainsi, les femmes demandent moins d’augmentations de salaire, se battent moins pour les obtenir, et les disparités sont entretenues.

Apprenez aussi que :

  • les hommes aussi sont victimes de stéréotypes. Il y a encore des actions, inspirées des groupes de femmes, amenant les hommes à se dégager du poids des normes viriles : les incitations à la parentalité, et de façon émergente les groupes de parole d’hommes sur l’égalité professionnelle.

Il y a une symétrie inversée entre les stéréotypes féminins et masculins :

  • Les femmes sont maternantes,
  • les hommes sont forts, ont de l’autorité mais pas d’émotions, ils sont des leaders naturels.

Notez que les hommes qui ne s’y conforment pas s’exposent à être discriminés.

  • Pour les femmes les stéréotypes impactent la vie professionnelle,
  • pour les hommes la vie personnelle
  • et cette asymétrie maintient les inégalités dans le couple.

Ce qui se passe en entreprise interfère donc en permanence avec la sphère privée et réalimente en boucle les inégalités en entreprise, qui créent le plafond de verre.

Le questionnement des normes masculines par les hommes, qui commence à s’ébaucher, on le voit  à travers la question de la parentalité, devient donc un enjeu fort pour les femmes. Et nous y travaillons ensembles.

On constate en effet que l’attention à la parentalité peut renforcer l’impact des stéréotypes, si elle est seulement proposée aux femmes et non proposée, et surtout valorisée ou adaptée pour les hommes : c’est le cas par exemple de l’annualisation du temps partiel à prendre pendant les congés scolaires appréciés par les hommes chez Orano ; les actions de sensibilisation des hommes à la parentalité chez Orange,  ou encore l’incitation à prendre le congé paternité en le rémunérant à 100% dans de plus en plus d’entreprises.

 

Echanger: une révolution douce…

Un autre que vous, un homme figurez-vous, nous propose cette « révolution douce ». Il se nomme Antoine de Gabrielli et nous explique : « Le plancher de verre, c’est cette croyance que les hommes s’accomplissent exclusivement dans leur vie professionnelle. C’est l’illustration d’une norme masculine de performance qui conduit à afficher sa réussite selon des codes sociaux et professionnels convenus: toujours disponible, très présent, briguant les postes de pouvoir…

Ces représentations contraignent les hommes à accepter un engagement dominant et parfois exclusif dans leur vie professionnelle, au détriment, vous l’avez bien compris, du reste de leur vie. Si, en tant qu’homme, je m’autorise à sortir de ce carcan, je permets aussi aux femmes de sortir du leur.

L’engagement professionnel des femmes a été une chance pour le rapprochement des hommes avec leurs enfants. Les hommes commencent à sentir qu’ils vont être obligés de bouger, parce qu’ils ont opéré un rapprochement dans la relation aux enfants et que cela les rend plus sensibles à des enjeux humains ».

 

« Rien de changé sous le soleil du masculin »

 

Vous enfilez donc les perles les unes après les autres pendant près de 400 pages, de « l’homme au sperme dédaigné (qui) remplace maintenant la fille mère », trainant sa honte et son humiliation jusqu’à la conclusion, où enfin l’ordre est rétabli : « Pour penser le présent, il nous suffit d’admettre que 100 000 à 300 000 ans d’habitudes humaines ne peuvent être effacés en 70 ans, si nous plaçons en 1950 le début de la grande mutation ». Voilà qui vous rassure : « Une société, si elle veut progresser, peut-elle vraiment se priver du surcroît de créativité et d’intensité dans le travail engendré chez les hommes par leur incapacité à fabriquer des enfants ? » Vous pouvez donc renvoyer les femmes à la maternité et l’allaitement, encombrées d’un enfant toujours pendu au mamelon, qui les rendrait pensez-vous peu disponibles pour le travail, pendant que les hommes feraient carrière !

« Rien de changé sous le soleil du masculin » pouvez-vous enfin conclure ! Ouf ! Vous l’avez échappé belle ! Ah, vous savez les remettre à leur place les femmes !

Laurence Dejouany

Merci à Niamké-Anne Kodjo pour sa relecture